Les GAFA se préparent à lancer leurs propres cryptomonnaies
Grâce à la technologie blockchain, les entreprises peuvent créer leur propre monnaie numérique. Facebook est sur le point de lancer sa propre cybermonnaie. A terme, d’autres Gafa devraient suivre, estime Fabien Aufrechter, responsable blockchain chez Havas.
Imaginez. Comme tous les jours, vous surfez sur Facebook. Vous êtes peut-être dans les transports ou bien déjà au travail. Et voici que sur votre fil apparaît ce qui vous semble le cadeau idéal pour l’anniversaire de votre frère, dont Facebook vous rappelle qu’il est demain. Il n’en reste plus qu’un sur la « marketplace » du réseau social, mais pas de chance : il est un peu cher. Cela dit, il est hors de question pour vous de rater cette opportunité… même si elle doit vous coûter 500 « Facebook coins ».
Vous envoyez donc un message privé à votre soeur, qui accepte de participer au cadeau à part égale avec vous. Elle vous envoie 250 Facebook coins directement par messagerie. Mais vous n’en avez que 240 de votre côté, récemment offerts par le réseau social pour avoir réalisé un post particulièrement populaire.
Alors, pour arrondir la somme et offrir le cadeau à votre frère, vous décidez de cliquer sur une icône à gauche de votre fil d’actualité et de regarder quelques vidéos. Trente petites minutes plus tard, vous avez répondu à trois questionnaires, visionné plusieurs publicités… et gagné 8 Facebook coins. Pour en gagner 2 de plus, vous cliquez sur une petite fenêtre pour jouer à des jeux affiliés à une marque de sport, qui vous récompense pour votre temps d’attention. Ni une, ni deux : vous avez le compte et achetez le cadeau. Il sera livré à votre frère demain matin, directement chez lui, et avec les compliments de Facebook.
Une telle monnaie transformera Facebook en une véritable banque centrale.
Si ce scénario vous fait rêver… votre rêve est sans doute à portée de main ! Car, comme la plupart des Gafa, Facebook travaille au lancement de sa cryptomonnaie depuis maintenant plusieurs mois. Logique puisqu’une telle monnaie simplifiera la vie de ses utilisateurs… et transformera l’entreprise de Mark Zuckerberg en une véritable banque centrale.
Une Monnaie privée sans Taxe
La TVA, les commissions, les délais de paiement entre professionnels ou particuliers… le Facebook coin reléguera tout cela au passé. Grâce à cette nouvelle monnaie 100 % mobile : plus de frais bancaires, plus de conversion de monnaies lors de déplacement à l’international ni plus de fausse monnaie. Oui, les banques centrales auraient sans doute dû prendre le Facebook coin plus au sérieux…
L’annonce est pourtant passée relativement inaperçue lorsque, le 21 décembre 2018, Bloomberg a révélé , que Facebook préparait le lancement imminent de son Facebook coin sur WhatsApp. La prétention de ce crypto-actif ? Un déploiement en Inde. Logique : Facebook cible une population faiblement bancarisée, mais très équipée en smartphones. Logique également : près de 300 millions de personnes utilisent Facebook en Inde !
Deux semaines après cette annonce, c’est dans un silence retentissant que le gouvernement indien annonçait l’abandon de son projet de crypto-nationale. Pour la première fois, pourtant, un Etat cédait sa souveraineté monétaire à une entreprise privée. Comme si avant même que l’affrontement entre les modèles ne commence, les Etats avaient déjà rendu les armes au profit des Gafa et des BATX.
Alors, bien sûr, la souveraineté monétaire est une construction intensément politique et profondément juridique. Et depuis les analyses de Friedrich Hayek, la notion de dénationalisation de la monnaie n’est plus taboue. Mais la question qui doit être posée, c’est celle du consensus. Peut-on vraiment imaginer qu’une monnaie privée fasse consensus ? La réponse ne fait aucun doute : non, aujourd’hui, le consensus à très grande échelle autour d’une monnaie privée n’est pas à l’ordre du jour. Par contre, une monnaie d’origine privée l’est de manière évidente (et cela, quelle que soit la réputation de l’émetteur), si et seulement si elle est conçue pour être ouverte, transparente, sécurisée, déployable à grande échelle et décentralisée.
Un Projet (presque) secret
Et c’est bien pour cette raison que le lancement d’un Facebook coin n’est qu’une question de temps : jusqu’à il y a peu, l’intérêt de monnaies non étatiques n’avait pas vraiment de sens, puisque les Etats restaient les garants les plus absolus des valeurs, et parce que les coûts de transaction entre monnaies privées n’étaient pas compétitifs. Mais les technologies blockchain ont rompu ce paradigme : un Facebook coin décentralisé, mais aux caractéristiques dessinées par Facebook est le produit qui pourrait sauver l’entreprise de Mark Zuckerberg.
Quelles en seront les contours ? L’équipe de David Marcus – qui porte le projet – garde le secret jalousement. Le défi qui s’ouvre à eux est relativement inédit : d’une certaine manière, il s’agit de réinventer le bitcoin en créant un nouveau protocole décentralisé, mais ne reposant sur aucun des modèles existants, repenser la notion de minage pour favoriser un modèle énergétiquement propre, favoriser un usage simple, voire indolore, et garantir une sécurité maximale.
Sachant que l’identité des Gafa est de se développer à partir du trésor infini que représentent les données, doit-on imaginer l’avènement d’un « proof of data » ? En tout cas, le défi est immense et passionnant. Reste à voir comment les Etats, mais surtout les utilisateurs réagiront au lancement d’un Facebook coin. Après tout, c’est entre leurs mains que l’avenir des crypto-actifs se joue, qu’il soit sous le signe des Gafa ou sous celui d’autres acteurs.
Source : LesEchos.fr